Publié le 30/01/2014
Par deux jugements rendus à 8 jours d’intervalle, le TGI de Paris a d’abord prononcé l’annulation de la marque verbale vente-privée.com, puis en a reconnu le caractère notoire. Retour sur ces deux décisions contradictoires.
Créée en 2001, la société Vente-privée.com, qui exploite le site du même nom, est aujourd’hui le leader des ventes événementielles en ligne. Le principe est simple : des particuliers, préalablement sélectionnés ou parrainés, se voient offrir via le site internet de la société des produits de marques, à des prix cassés.
Forte de son succès, la société Vente-privée.com a pris soin de déposer en 2009 la marque éponyme auprès de l’Institut national de la propriété industrielle.
Cette précaution n’a pas empêché la société Showroomprivé.com, dont l’activité est rigoureusement identique, de tenter de faire tomber le monopole que s’était offert Vente-privée.com. Showroomprivé.com a donc assigné la société Vente-privée.com devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, arguant de la nullité de la marque de sa rivale… qui ne ferait que reprendre une expression appartenant au langage courant.
En effet, le droit de la propriété intellectuelle exige, comme condition essentielle de la validité d’une marque, qu’elle présente un caractère « distinctif ».
En conséquence, l’emploi de termes dits « génériques » ou «usuels », c'est-à-dire de termes qui se contentent de décrire ledit produit ou service visé par la marque, sont prohibés en vertu de l’article L711-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que : « le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif (…) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service (…) ».
C’est en faisant application de ce principe que le Tribunal de Grande Instance de Paris (3ème chambre, 1ère section) a fait droit aux arguments de la société Showroomprivé.com et a prononcé, le 28 novembre 2013, la nullité de la marque nominale vente-privée.com. Pour justifier sa décision, le Tribunal fait état de « l’absence de caractère distinctif » de la marque, les termes « vente privée » étant considérés comme « génériques ».
Au vu de ce jugement, la société Vente-privée.com risquait donc de se voir démunie face à l’utilisation de son nom par ses concurrents. C’était sans compter sur la décision rendue par la troisième section de la troisième chambre du même Tribunal le 6 décembre 2013, qui a consacré cette fois la validité et la notoriété des marques semi-figuratives de la société.
Dans cette autre affaire, la société Vente-privée.com a assigné le titulaire de trois noms de domaines (venteprives.com, ventprivee.com et vente-priveee.com) qui les proposait aux enchères et les exploitait sur des pages dites « parking », sur lesquelles ne figurent que des liens publicitaires.
La société Vente-privée.com s’appuyait notamment sur l’article L713-5 du Code de la propriété intellectuelle conférant aux marques renommées une protection renforcée puisque, celle-ci s’étend au-delà du principe de spécialité selon lequel une marque n’est protégée que pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux visés dans son enregistrement.
Les juges de la troisième section ont fait droit aux arguments de la société Venteprivée.com en jugeant que ces marques doivent être considérées comme « notoires » ou « renommées », notamment au vu « des chiffres, articles et sondages produits ».
En l’espèce, le Tribunal a considéré qu’en utilisant des noms de domaine très similaires aux marques en cause l’internaute fera nécessairement un lien entre les signes litigieux et que le défendeur a eu pour intention de s’attirer le public français d’internautes à la recherche du site venteprivée.com ce qui constitue un usage injustifié du pouvoir d’attraction des marques de la société Vente-privée.com.
S’il convient de souligner que la décision a été rendue alors que le défendeur n’a pas comparu, que la nullité des marques de la société Vente-privée.com n’a pas été soulevée, et que le juge a uniquement ordonné des mesures provisoires, cette seconde décision du Tribunal frappe tout de même par la force qu’elle attribue aux signes distinctifs détenus par ladite société.
La décision du 6 décembre 2013 a donc offert la possibilité à la société Vente-privée.com de défendre les marques semi-figuratives qu’elle détient et ce alors même que la première décision du 28 novembre 2013 avait mis fin au monopole qu’elle détenait sur le nom « venteprivée.com ».
Les deux jugements, s’ils apparaissent contradictoires, ne le sont pas totalement en réalité : le premier concernait une marque verbale, et l’autre des marques semi-figuratives. On pourrait ainsi penser que, dans la décision du 6 décembre 2013, le Tribunal a estimé que les éléments figuratifs accolés aux termes vente privée conféraient à l’ensemble un caractère distinctif, mais que l’élément verbal pris en lui-même en était dépourvu.
Cependant, dans ce cas, il est difficile de justifier la condamnation du titulaire des noms de domaine litigieux, puisque celui-ci ne faisait aucun usage des éléments figuratifs des marques détenues par la société venteprivée.com.
La contradiction existant entre ces deux décisions appelle donc une clarification, qui sera probablement donnée dans le cadre d’un appel.
Affaire à suivre….